Karine Pillette 

    Poétesse 

 Karine Pillette 

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18 Dec 2021

L’association rochelaise Terre et Lettres a proposé en 2021 un Grand Jeu d’écriture sur le thème : La Rochelle en 2040…

La Rochelle ville mer-veilleuse     


    4 juillet 2040, 20h17 : Rien de tel qu’une petite douche après quelques heures passées sur la plage de La Concurrence. Flora enfile sa robe crayon à rayures bleu marine. Elle glisse dans un petit  panier qui fait office de sac à main son portable, (rechargeable  à l’énergie solaire), son rouge à lèvre, (100% d’ingrédients d’origine naturelle) ainsi qu’un pull marin. Elle est prête.

    Ses amis l’attendent dans un lieu surprise pour son anniversaire : elle a 20 ans aujourd’hui. Elle doit rejoindre Océane, sa meilleure amie, à la Grosse Horloge.      

    Native de La Rochelle, elle a eu la chance de grandir  dans une maison de la rue « sur les murs » avec vue sur mer. L’école de voile située sur l’Esplanade Saint-Jean-d’Acre, près de chez elle, lui a permis de découvrir les sports nautiques dès son plus jeune âge. Tout d’abord sur des “optimistes” puis sur des 420 et des catamarans. Elle a également suivi des stages de planche. Quelques  stages de kitesurf aussi, à l’île de Ré. Elle est ainsi devenue une fille de l’eau et du vent.       

    Cette passion de la mer l’a tout naturellement conduite  à passer son bac au Lycée Maritime  et Aquacole de La Rochelle et à se diriger vers un BTS Conception et Industrialisation en Construction Navale, ouvert en 2037 dans sa ville.         

    Petite, elle adorait passer des heures à observer les  bateaux, entrant et sortant du port des Minimes. Celui-ci est actuellement en travaux car les demandes de postes d’amarrage ont fortement augmenté. Il y en a toujours eu mais elles explosent aujourd’hui.         

    Il faut dire que le  nombre de plaisanciers choisissant  de vivre à l’année sur les pontons a franchement progressé passant de cent-soixante-dix bateaux habités dans les années 2020, à deux-mille aujourd’hui. 

    La vie sur les quais séduit de plus en plus de personnes tentées par ce mode de vie bohème et convivial. Le cadre y est très agréable. Deux  bateaux-bars restent le plus souvent à quai : le premier se nomme Méridienne (déco assez classique) et le second, Merluche des Perruches  (déco super déjantée).

    Il y a même un bateau-marché qui vend des fruits et légumes de saison, quelques denrées essentielles, le Mer et Terre. La ville de La Rochelle  a innové en ouvrant récemment un bateau-bibliothèque : Le Mer-Veilleux.

    Quel bonheur de s’asseoir sur le pont en pleine mer afin de lire les romans des derniers écrivains rochelais ou d’ailleurs.        

    Ce nouveau  quartier résidentiel a son propre nom : Les toiles de mer. Clin d’œil au grand nombre d’artistes voyageurs, de peintres-navigateurs qui y habitent.        

    On peut aussi y trouver plusieurs bateaux-restaurants ou bateaux-bars mobiles.  L’Atlantis est le bateau-bar préféré de Flora. Ce super voilier de trente mètres a une salle d’observation sous-marine. Force est de reconnaître que la transparence de nos eaux ne  rivalise toujours pas  avec celle des Cyclades. Mais grâce à un système d’éclairage performant et respectueux de la faune et la flore, un  bras entièrement automatisé du navire  se charge de faire des gros plans sur les poissons ou certaines algues ainsi que sur d’autres petits et grands  habitants des mers. La dernière fois, Flora a pu admirer avec Océane de nouvelles colonies d’anémones-bijoux, aux couleurs vertes et roses. Un bernard-l’hermite s’était  accroché à l’une d’entre elle afin de se  protéger de potentiels prédateurs. Quel spectacle !    

    Tous  les bateaux sont aujourd’hui autonomes en énergie. Ils ont tous une ou plusieurs éoliennes qui, en plus d’apporter une touche poétique, (elles ressemblent à des moulins à vent de différentes tailles et sont de couleurs variées) permettent à un ingénieux système de transformer l’énergie du vent en électricité. Les gourmands énergivores ont en plus des capteurs solaires.  Les voiliers ont gagné  en légèreté car ils sont majoritairement construits en bambou. Les pièces composites biosourcées sont en partie recyclables. C’est sur ce sujet que Flora aimerait travailler.           

    Comme les moteurs ne polluent plus, le niveau de propreté de l’eau a considérablement augmenté. Le nombre de fumeurs a chuté avec le temps, on ne trouve plus de mégots dans l’eau.                   

        Les campagnes de sensibilisation au respect du milieu naturel auprès notamment des enfants ont  porté leurs fruits : les êtres humains ont une attitude de plus en plus responsable dans un grand nombre de pays du monde. Ils ne jettent presque plus aucun détritus dans la nature. L’eau étant claire et propre, il n’est pas rare de trouver une zone de baignade réservée dans certains ports.     

    Lors d’une de ses dernières baignades dans celui de La Rochelle, Flora a pu observer il y quinze jours une étoile de mer commune (Astérias rubens) rouge-orangée, toute occupée à une « palourde party ».      

    Un des autres lieux fétiches où Flora aime passer des heures depuis qu’elle est petite fille est l’aquarium. Suite à son immense succès, il a été entièrement reconstruit en 2031. Sa surface a doublé. C’est l’un des plus grands aquariums au monde, reconnu pour les soins qu’il apporte  au milieu marin et à ses habitants grâce son équipe de biologistes marins et d’océanographes.      

    Comme le plastique n’est quasiment plus utilisé, le nombre de dauphins et baleines échoués a chuté en quelques années. Notre ville et notre département ont pu voir s’élever le nombre de “visiteurs” mammifères marins. En 2021, un jeune morse qui s’était perdu avait passé quelques jours dans le port de pêche de Chef de Baie. Conquis par le confort de ses barques, il y revint en 2025   cette fois-ci avec sa famille. Il a à priori passé le mot à ses cousins car il n’est pas rare d’y observer  quelques phoques.  Quelques barques y sont installées à leur intention. Ce qui était exceptionnel en 2021 est entré dans la vie quotidienne des rochelais.      

    L’observatoire des mammifères marins Pélagis basé à La Rochelle a triplé ses effectifs. En effet, on peut aussi observer la présence de tortues Luth, de cétacés (dauphins, baleines) et même de quelques poissons-lunes. Les enfants ne posent plus de question autour du nom du phare des Baleines à l’île de Ré car même si le phénomène reste encore assez rare, il est arrivé de repérer des colonnes de brume au-dessus de la surface de l’eau. Les passages  des petits rorquals à museau pointu (Balaenoptera acuturostrata) sont de plus en plus fréquents dans le pertuis, autour du pont de l’île de Ré. Le rêve que certains individus se sédentarisent comme c’était le cas dans les année 1950 est probablement en train de devenir réalité. Il peut même arriver que certains liens se tissent entre ces animaux et des êtres  humains.          

    En 2038, le nombre de danseurs sous-marins continue d’augmenter dans le monde entier. La  Danse Sous-Marine (DSM) s’est progressivement imposée dans un grand nombre de pays. Il s’agit en quelque sorte de la  petite soeur de la natation synchronisée, discipline considérée comme trop exigeante physiquement. Elle est colorée culturellement selon les pays. Les poissons apprécient tout particulièrement les mouvements aquatiques des voiles des Danseuses Élégantes Orientales (D.E.O).     

    La Rochelle a été une des villes pionnières dans le développement de ce nouveau sport et Flora fait bien évidemment partie du groupe mixte de danseurs sous-marins. Ils ont même eu en juillet 2039 la surprise de danser entourés par trois dauphins particulièrement joueurs. Les  mélodies dynamiques d’ukulélé, diffusées sous l’eau, semblaient particulièrement leur convenir.         

    Sur les rivages, il n’est pas rare de trouver de curieux bouquets. Lili, une  femme rochelaise  a été à l’origine il y a une dizaine d’années d’une nouvelle branche d’art floral japonais : L’ikebana-Aqua. Le principe est d’associer  des fleurs “terrestres” (qui poussent en grande partie sur des toits végétalisés de notre ville) à des coquillages ou des algues maritimes sauvages. Ces bouquets sont dédiés à Thalassa, notre mère à tous, à qui certains vouent un culte quasi-religieux. L’ikebana-Aqua a fait des émules. Des stages internationaux ont lieu régulièrement dans notre belle ville.       Marcher sur les pavés de la rue de l’escale n’est toujours pas chose aisée, surtout pour les femmes à talon. Flora en sait quelque chose. C’est dans cette rue qu’habite Océane et sa cadence de marche naturellement rapide est nettement ralentie lorsqu’elle arrive près de chez elle.        

    La Rochelle est devenue une ville essentiellement cycliste. Suite à la COVID 19, le nombre de personnes circulant à vélo a monté  en flèche. Le centre ville est devenu entièrement piéton en 2026 et les surfaces des terrasses de  cafés ont  gagné en surface. Le nombre de caves à vin, de bars à bière, de cafés  aux décorations thématiques ne se compte plus.         Il semble bien que le goût de consommer une boisson chaude ou fraîche en terrasse, activité à l’origine particulièrement appréciée des parisiens, ait gagné le pays. En Charente-Maritime, c’est tout à fait le cas. Cette année, la France est arrivée dix-septième  dans la liste des pays les plus optimistes (c’est incomparablement mieux qu’il y a vingt ans mais encore insuffisant selon la Ligue  des Optimistes de France ainsi que pour  l’association Les Optimistes Rochelais), les médias considèrent que le temps passé  à blaguer, à échanger librement  et à contempler la mer aux terrasses des cafés pourrait être un facteur clé de lutte contre cette dépression sociétale structurelle française, en baisse significative.       

    Du haut de ses espadrilles compensées noires, Flora se met à penser, tout en évitant de se tordre les chevilles sur les pavés, au dernier cocktail à la mode nommé Spirulina, à base de cette micro-algue douce spiralée.       Océane l’accueille avec un sourire radieux. C’est Flora qui aurait dû avoir ce prénom là. Son amie est plus intéressée par les plantes, les fleurs et l’ethnobotanique que par la mer. Celle-ci bande les yeux à sa meilleure amie.  - Je t’emmène dans le dernier bar qui vient d’ouvrir. Tu vas voir, il est incroyable !       

    Flora, le sourire aux lèvres hume tous les parfums qui se dégagent des toits et des espaces verts de la ville. Elle  s’est fortement végétalisée en vingt ans. Le responsable du Patrimoine arboré de la ville veille maintenant sur plus soixante-mille arbres au lieu de quarante-cinq mille en 2020. La crainte de la montée des eaux annoncée par certains scientifiques n’a pas eu lieu grâce à un immense effort d’arborisation de la planète. L’ensemble des pays s’est mis d’accord sur un point : partant du principe que l’augmentation du nombre d’ arbres faisait partie des stratégies les plus efficaces pour atténuer le changement climatique, l’objectif de planter  mille milliards d’arbres a pu être atteint. Ils recouvrent aujourd’hui plus de quatre milliards d’hectares sur terre. La croissance rapide de véritables  forêts d’algues géantes a également permis l’absorption d’une grande quantité de carbone.  Elles couvrent au total quatre-cent-mille hectares dans le monde. La  biodiversité, riche dans ces forêts flottantes, est précieuse à différents niveaux.  - Tu sens les parfums de ce mur de framboisiers associé aux plants de myosotis  Flora ?       

    Bien sûr qu’elle a pu apprécié  ces parfums. La sensorialité de cette jeune  génération a décuplé. Flora et Océane sont végétariennes, comme quatre-vingt-quinze pour cent de leurs amis, filles et garçons confondus. Ceux qui aiment le goût de la viande  trouvent des aliments avec ces saveurs mais toujours après avoir vérifié qu’aucun animal n’a été tué. Les animaux sont traités avec bien plus de bienveillance. Ils sont protégés depuis 2032 par  une série de lois visant à ce qu’ils aient une vie digne.        

    Ces aliments-ersatz au goût de viande ou de poisson ont toujours un succès certain mais la vraie tendance en ce moment est la gastronomie océanique. La sauce d’huître asiatique a inspiré des chefs français. Les sauces à base de palourdes, de bigorneaux, de moules font fureur dans les plats salés. La cuisine à base de micro-algues est devenue la base de l’alimentation. Le nombre d’algoculteurs (producteurs d’algues) continue de croître. Le littoral de notre département est biodynamisé par ces hectares de culture. Une trentaine de variétés d’algues prolifère déjà sur nos côtes. Des chercheurs continuent à en remonter et à en faire découvrir, trouvées à des dizaines de mètres de fond. Exceptionnellement riches en vitamines, en minéraux et oligo-éléments, il est permis de dire que les algues nous ont profondément revitalisés.       

    Flora entend maintenant distinctement les sons des manèges. Les  bateaux en bois qui se balancent d’un côté à l’autre ont amusé plusieurs générations de sa famille, elle comprise. Elle sent les embruns de la plage de la Concurrence, les senteurs du gazon fraîchement tondu des allées du Mail. Elles doivent maintenant se trouver derrière le Casino. 

    Océane dénoue le bandeau, rendant ainsi la vue à Flora. Devant elle, se trouve un nouveau bar. Elle avait bien eu connaissance du projet de transformation de ce blockhaus affreux qui enlaidissait le Parc d’Orbigny. Entièrement réhabilité, il affiche aujourd’hui des couleurs douces et chaleureuses. Des serveurs aux mines réjouies sont prêts à accueillir un groupe de cinquante jeunes tous présents pour l’anniversaire de Flora. Des lampions, des guirlandes colorées ornent plusieurs branches, illuminant déjà la soirée. Flora lève les yeux découvrant  le nom de ce nouveau bar champêtre : Fraternité.            

                                                Karine PILLETTE      La Rochelle,  Juin 2021 

14 Nov 2021